"Mais qu’est-ce que toi, une orthophoniste, va pouvoir faire à Pakbeng ? Cette question m’était systématiquement posée quand j’expliquais que je partais au Laos travailler dans un dispensaire médical.
- Eh bien je verrai et je vous raconterai."
Premier matin 8h30, Claudine, le médecin généraliste, me propose d’assister à ses consultations.
Avec nous, Deng l’interprète, sans lequel les consultations seraient impossibles. Barrière des langues (selon les ethnies : Lao, Kamou) mais aussi barrière des coutumes. Timidité ou culture, bien souvent le Lao n’est pas dans l’échange du regard. Sûrement un peu des deux. Une solution pour établir le lien, dire quelques mots en Lao ou en Kamou. Claudine fait ça très bien. Elle n’est pas forcément récompensée par la compréhension mais toujours par un échange de regards et un grand sourire. Le « sabaïdi » (bonjour) chantant en est le premier sésame.
J’ai orienté mon parcours professionnel en CMP vers la psychopathologie du jeune enfant, c’est pourquoi Claudine me sollicite dès qu’un bébé ou un enfant se présente.
La prématurité et les accouchements sans césarienne ont, hélas, leurs lots d’enfants avec handicaps. Nous en verrons deux. Les parents amènent leurs enfants à la consultation espérant un miracle de notre part. Claudine explique longuement que les dommages du cerveau sont irréversibles et soutient autant qu’elle le peut les compétences de l’enfant et l’importance des liens avec les parents.
La grande majorité des consultations infantiles concernent des bronchites, rhino-pharyngites et otites. Nous sommes à 1000 m d’altitude et les nuits sont très fraîches. Les bambins ont froid malgré les couches de vêtements d’été que les parents leur enfilent les unes au dessus les autres. Les mamans ou même les papas qui amènent leurs enfants, montrent une grande tendresse et une grande attention à leurs bébés. Les mamans les portent dans un foulard noué que certaines ont du mal à détacher, montrant ainsi que se séparer du bébé, même pour trois minutes, est un arrachement.
Beaucoup de ces mamans profitent de la consultation pour consulter pour elles-mêmes. À la question « combien avez-vous d’enfants ? », il n’est pas rare de les voir annoncer le nombre de vivants mais aussi le nombre de morts. Au Laos, le taux de mortalité d’enfants de 2 moins de deux ans est important : 57,77 pour 1000 naissances normales d’après le CIA World Factbook de mars 2012.
Dans les cas plus particuliers que nous avons rencontrés, il y a ce petit bonhomme de 7 ans au développement de 2 ans, aux défenses autistiques avérées : marchant sur la pointe des pieds, sans angoisse de séparation, se stimulant par la lumière en cherchant l’effet à travers ses doigts. Le père nous dit qu’il parle, mais que dit-il ? Ici à Pakbeng, il n'y a aucune structure d’accueil pour ces enfants-là.
Une autre fois c’est un « grillon » qui entre dans la cabinet de consultation : une fillette de 2 ans qui grince des dents, à tel point que nos dentistes sortent de leur cabinet. Cette fillette accrochée à sa mère, porte aussi son regard vers la lumière. Quand, à ma demande, la maman la posera au sol, on s’apercevra qu’elle ne marche pas. Elle a aussi un retard de langage. Elle est la septième de la famille, « tous vivants » dit la maman fièrement.
Pendant que cette maman consulte pour elle, je peux approfondir mon observation et initier avec la fillette un jeu de cache-cache auquel, à ma grande surprise, elle répond et prend plaisir, cessant son bruxisme. Claudine donnera quelques conseils à la Maman, comme d'essayer de moins la porter dans le foulard pour la laisser au sol où d’ailleurs sans transition elle est passée d’une position où je me demandais si elle allait tenir assise seule à un quatre pattes actif.
Nous aurons l’occasion de la revoir quelques jours plus tard. Elle est à peine entrée dans le cabinet, qu’en me voyant, elle initie immédiatement le jeu de cache-cache. Elle est dans les bras de sa mère, fini le foulard, très peu de grincements des dents, mais elle les reprendra à son départ du dispensaire. Magie des consultations périnatales !
(Dr Evelyne R.)